« Le dessert du jour, c’est tarte au citron meringuée maison. ». Même avec les dents du fond qui baignent, impossible d’y résister. Pourtant, une meringue, ça peut se rater. C’est le sentiment qui m’a habité en découvrant Blacksad : Under the skin.
Les jeux Microids qu’on avait eu l’occasion de tester à la Gamescom nous avaient laissé un bon souvenir : il y avait Astérix & Obélix, réchauffé, mais pas mauvais – comme une pizza – XIII avec son cell shading et sa nostalgie — comme le gâteau aux pommes de grand-maman – et finalement Blacksad : Under the skin – qui serait comme une crêpe flambée avec ton whisky préféré. Je ne devrais pas écrire le ventre vide.
Blacksad, pour ceux du fond qui ne connaissent pas, est le protagoniste d’une série de BD éponymes des Espagnols Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido. Tout se passe sur la côte est des États-Unis, durant l’après-guerre. On y suit John Blacksad, détective privé de son état, fauché et pétri de cynisme. Les personnages sont anthropomorphes et leur espèce est fortement affectée par leur personnalité. Ou l’inverse, je sais plus trop. Blacksad est donc un chat noir, aux sens affûtés, mais au pelage foncé, ce qui lui causera une certaine discrimination. Cet univers est alors un terreau fertile à une adaptation en jeu vidéo.
Sa langue au chat
C’est tout naturellement que Under the Skin prend la forme d’un jeu d’enquête policière. Avec des séquences d’exploration et de recherche d’indices, des déductions et quelques quick time events pour se réveiller (QTE, ces cinématiques interactives où une action rapide est requise pour se sortir d’un mauvais pas). Niveau gameplay, on est dans du très Classique. Un contrôle à la troisième personne et un seul bouton à presser pour interagir avec les objets à proximité. Si tous les indices et observations sont automatiquement marqués dans un cahier de notes, il est tout de même préférable de se souvenir des faits. À la manière des QTE, certaines discussions nécessitent tout à coup de choisir que répliquer à son interlocuteur ou de garder le silence. Ces choix, sans impact sur le déroulement global de l’intrigue, vont modeler la personnalité de Blacksad. Ainsi que l’opinion qu’il a des autres.
Les chats font pas des chiens
Dès les premiers instants, on apprécie le soin particulier qui a été apporté à la conception des personnages. Tous pourraient sortir droit de la bande dessinée. Quelques séquences narratives crayonnées rappellent que les parents ne sont jamais très loin… Dans mon rapport de la Gamescom, j’avais déploré le manque d’originalité des voix de doublage. J’ai donc joué quelques minutes en anglais (en « VO »), mais j’ai rapidement fait machine arrière, tant ça me semblait peu naturel. En fin de compte, après avoir croisé la route de nombreux protagonistes, j’ai réalisé que, finalement, les voix françaises étaient pour la plupart variées et collaient aux personnages. Bonne surprise de ce côté-là.
Une fois dissipée l’épaisse fumée des cigares, on se rend compte que ledit cigare, ben il a un goût de pas fini. Très rapidement, j’ai trouvé les commandes au clavier un peu scabreuses, comme s’il était bourré, le clavier. Ah, mais c’est simplement parce que le jeu pense que j’ai un AZERTY, ça va être… vite réglé ? En réalité, pas du tout : pas moyen de changer la disposition depuis le jeu ou de réassigner les touches. À moi, ma fidèle manette de Switch, qui se synchronise sans peine. Pourquoi ne pas avoir fait un point and click ? Mon intuition me dit que c’est pour rendre les portages plus faciles et ne pas avoir à programmer cette interface.
Cha ch’est un bon chat, madame
Le rythme du jeu est généralement très (très) pépère. La bande-son discrète (je l’ai trouvé, mon jazz !) contribue à l’immersion dans l’univers glauque de ce New York à poils. Aucun système d’aide n’est proposé ; seul le nombre de déductions possibles avec les indices collectés est indiqué. Les déductions ne sont pas automatiques. Pour connecter les points, on doit plonger dans le néant tiède de la boîte crânienne de John. Une fois installé, on doit choisir des faits et les mettre ensemble, tout simplement. Le trial and error est possible, mais certaines combinaisons nécessitent trois éléments, donc le hasard n’est pas une solution à tout.
À côté de l’exploration et de la recherche d’indices à l’ancienne, Blacksad peut parfois utiliser ses sens de félin pour sentir, voir ou entendre des détails de son environnement ou ses interlocuteurs. D’ailleurs, une scène impliquant une tarte aux fruits m’a bien fait rigoler. En couplant cette mécanique avec un timer, ça donne une impression bien rendue de réflexes instinctifs pour se sortir d’une situation critique.
Chat échaudé…
Le jeu se joue très bien à la manette, vu le nombre limité d’actions à effectuer. Par contre, John se dirige avec l’aisance d’un porte-avions. Le contour des meubles et autre décor étant assez anguleux, on a vite fait de se coincer quelques instants entre le bureau et la chaise. Les zones d’interaction avec les objets sont parfois un peu capricieuses. Trop près ça va pas, mais sur le côté non plus. Demi-tour, démarrage en côte, parcage latéral. Quelques ajustements ergonomiques n’auraient pas fait de mal, au lieu de programmer ce fichu papier gras qui virevolte toutes les dix secondes, même en intérieur. Rien de dramatique, mais en contraste du soin apporté à la modélisation des lieux et personnages…
Rapidement, je me rends compte que ce jeu — comme hélas bien d’autres — aurait dû passer plus de temps entre les mains des testeurs. Lors d’un chargement de sauvegarde, la caméra décide de ne pas suivre Blacksad, qui, de son côté, ne peut qu’avancer en ligne droite jusqu’à sortir du champ. Impossible de continuer la partie. Heureusement, un système de chapitres de l’enquête m’a permis de revenir à une scène se passant quelques minutes auparavant. On a frôlé l’échec critique et je ne sais pas si c’est la pointe ou la base de l’iceberg. Le jeu est limité à 30 images par seconde, j’imagine à nouveau pour une meilleure compatibilité entre supports. Le framerate chute parfois lors de dialogues ou d’autres scènes où il ne se passe… rien. Les scènes d’actions ont donc une apparence que certains qualifieraient de « cinématographique », et d’autres d’« inadmissible ».
Entre Chat-grin et Chat-ouille
Mes attentes étaient élevées et la déception aurait pu me faire chuter de haut, mais finalement Under the skin s’en sort plutôt bien dans l’ensemble. Malgré une trame originale, mais linéaire, des défauts de finition parfois grossiers et une ergonomie par moments discutable, le soin porté à la transposition de la BD vers un environnement interactif et le scénario convainquent. Les changements de rythme induits par les séquences de choix rapides collent bien avec la dynamique du personnage. Et les punitions ne sont jamais très sévères.
Je ne saurais dire si l’ambiance m’a plu parce que j’ai adoré les BD et que j’y retrouvais de nombreux éléments, mais il y a sans doute une influence. Certains défauts pourraient certainement rendre le jeu injouable aux yeux de certains — cela va de l’ergonomie, fluidité ou présence de QTE, mais si on se contente de la narration, l’affaire est dans le sac, avec les autres bébés chats.
Note: 5 patounes sur 10
Également disponible sur PS4, Xbox One et dès la fin du mois sur Switch.