Un silence bourré de fausses notes [ Songs of Silence ]

Dans l’univers toujours plus foisonnant des jeux de stratégie, chaque développeur essaie d’apporter sa touche afin de rendre son jeu unique, que ce soit sur le plan artistique ou sur celui du gameplay. Avec Songs of Silence, Chimera Entertainment vise ces deux tableaux et propose un jeu hybride, entre 4X et auto battler, le tout doté d’une patte graphique reconnaissable entre mille. Le pari est-il réussi ? Seulement partiellement, malheureusement. Voyons cela.

 

Le silence est d’or

Parlons déjà de ce qui va bien. S’il y a quelque chose qu’on ne puisse pas reprocher à Songs of Silence, c’est sa direction artistique. Inspirés par l’Art Nouveau, les graphismes donnent lieu à de sublimes artworks durant les menus et les temps de chargement et se transcrivent élégamment lors des phases de gameplay. Chaque élément visuel, des environnements aux portraits des personnages, confère un cachet indéniable au jeu et régale les pupilles à chaque instant. Plus important encore, cet aspect démarque Songs of Silence des autres jeux actuels du même genre, qui la plupart du temps optent pour un rendu certes plus réaliste, mais aussi plus quelconque.

 

De près ou de loin, Songs of Silence impressionne par sa direction artistique.

 

Songs of Silence met également les petits plats dans les grands du côté du son. Chose assez rare pour un jeu indépendant, les dialogues lors des cutscenes sont intégralement doublés en anglais, avec une qualité tout à fait honorable. Cela permet d’apporter une certaine touche aux missions scénarisées, que le jeu tente de mettre en avant. Aux musiques, on a la surprise de retrouver le nom de Hitoshi Sakimoto, compositeur japonais de renom, qui avait notamment participé aux bandes originales de Final Fantasy Tactics et Valkyria Chronicles. Ses compositions sur Songs of Silence sont certes de bonne qualité, bien que quelque peu oubliables ; on aurait aimé des morceaux plus épiques, particulièrement lors des affrontements.

 

L’univers du jeu est intrigant, mais hormis la campagne, la plupart du lore se dévoilera via l’encyclopédie en jeu.

Faux accord

Si le contenant ne m’aura pas laissé indifférent, c’est malheureusement bien moins le cas du contenu. Songs of Silence est un jeu complexe, qui ambitionne de mélanger plusieurs sous-genres de la stratégie. La gestion de notre royaume et du déplacement de nos armées se fait aux tour par tour, à la façon d’un Civilization – bien que bouger nos unités se fasse avec un système de distance et non case par case.

Les affrontements se font en temps réel, de manière automatique et font penser aux jeux de type auto chess (Dota Underlords, Teamfight Tactics). On peut cependant avoir une influence pendant les combats, grâce à un système de cartes à jouer représentant des sorts ou des manœuvres, à la manière… de n’importe quel jeu depuis 2017, en fait. (C’est bon, les gars, on a compris, Slay the Spire a fait un carton. On peut arrêter de mettre des cartes à jouer dans tout et n’importe quoi, maintenant ? Fin du « rant« ).

 

La plupart des cartes demandent de cibler une zone du champ de bataille pour être activées.

 

Sur le papier, ce mélange a du potentiel, surtout si l’on aime ses composantes individuelles. En pratique, c’est une autre histoire. Songs of Silence souffre d’un problème fondamental : son manque de clarté, couplé à une quantité énorme de systèmes qui s’imbriquent les uns dans les autres. Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de dire qu’il eut fallu que le jeu soit plus simpliste. Mais ce qui aurait pu être une qualité – la profondeur du gameplay – est ici selon moi le plus gros défaut du titre. Les messages didacticiels qui apparaissent au fil du jeu n’apportent pas suffisamment d’informations concrètes et la plupart de celles que je me retrouvais à chercher étaient soit cachées au fin fond de l’encyclopédie du jeu, ou bien carrément pas présentes.

 

On peut dézoomer la carte jusqu’à avoir une vue plus sommaire, se focalisant sur les différentes places fortes.

Hello darkness my old friend

Ce flou qui pèse sur les règles du jeu se ressent en premier lieu lors de la campagne scénarisée, qui comme dans beaucoup de jeux du genre, est censée faire office d’introduction, avant de se lancer dans le mode Escarmouche, plus libre. Malheureusement, au-delà des évidentes banalités (« on sélectionne son armée avec le clic gauche, puis on la déplace avec le clic droit »), les informations les plus utiles ne sont jamais suffisamment explicitées. Combien de tours dois-je attendre au sein d’une ville afin que mes unités soient complètement soignées ? Y a-t-il un moyen d’évaluer la puissance d’une armée ennemie, autre que l’aléatoire message de mon commandant m’assurant « une victoire facile » ? Quelles sont les implications au long terme d’occuper une ville plutôt que de la raser ? Tant de questions auxquelles les réponses viendront à force de tâtonnements et de chargements de sauvegardes précédentes, avec toutes les frustrations que cela implique.

 

Les missions de la campagne sont très scénarisées et comme souvent dans les jeux de stratégie, imposent quelques contraintes sur le style de jeu.

 

Ce reproche est principalement valable pour tout ce qui touche à la stratégie, la gestion de notre royaume et de nos armées. Les combats, eux, sont forcément moins complexes, puisqu’automatiques. La clé de la victoire des affrontements de Songs of Silence réside dans une bonne préparation préalable de ses troupes : recruter des unités diversifiées et bien les positionner sur la grille de départ. En cas de rencontre avec une armée ennemie, la bataille se déroule en temps réel et chaque unité agit selon son archétype.

Notre seule influence sur l’issue de l’escarmouche vient des cartes en notre possession, que l’on peut glisser sur le champ de bataille (généralement en ciblant une aire d’effet) afin de profiter de son pouvoir. Chaque carte a un temps de recharge, suite auquel on pourra l’utiliser à nouveau. La sélection de cartes à notre disposition dépendra du personnage qui commande l’armée, ainsi que des choix d’amélioration à chaque montée de niveau.

 

Lorsqu’un général monte de niveau, on peut acquérir une nouvelle carte ou améliorer une existante, parmi trois choix aléatoires.

 

Cette idée n’est fondamentalement pas mauvaise et permet de ne pas être trop passif devant les batailles (que l’on peut de toute façon accélérer), mais elle n’a pas une grande utilité non plus. L’utilisation des cartes ne demande pas vraiment de réflexion de notre part ; on se contente généralement de les utiliser dès qu’elles sont disponibles, en ciblant les bonnes unités ou la bonne zone du champ de bataille afin de profiter de divers bonus, soins, etc. Autre point négatif des combats : leur manque de lisibilité. Malgré la patte graphique du jeu, certaines unités se ressemblent beaucoup trop les unes par rapport aux autres, ce qui peut parfois rendre le ciblage compliqué. Comme toute la préparation se fait en amont, une défaite annoncée ne pourra pas vraiment être évitée et impliquera soit le chargement d’une précédente sauvegarde, soit de passer plusieurs tours consécutifs à reconstruire son armée.

 

Le mode Scénario récemment ajouté, et qui sera certainement étoffé au fil des mises à jour.

Rendez-vous manqué

Songs of Silence est un jeu qui, dans mon expérience en tout cas, a souffert de sa mauvaise première impression. Les défauts que je lui reproche ne résonneront probablement pas chez tout le monde, et si l’on adhère à la proposition, force est de reconnaitre que le jeu propose de quoi se mettre sous la dent. Le mode Escarmouche permet une approche beaucoup plus libre par rapport aux missions scriptées de la campagne et surtout donne l’accès aux différentes factions et aux nombreux leaders, dont certains sont à débloquer via un système de succès. Chaque faction est bien distincte, tant graphiquement qu’au niveau du style de jeu, ce qui permet de diversifier l’expérience de jeu. Le mode Scénario, ajouté via une mise à jour gratuite, impose certaines contraintes à notre partie afin de renouveler le challenge.

Je suis le premier à m’attrister de ne pas avoir accroché, car sur le papier, rien ne semblait partir pour me déplaire. Malheureusement, en ce qui me concerne, Songs of Silence restera dans ma mémoire comme une expérience visuellement unique, mais diablement floue.

Note : 4 tours de plus /10

Testé sur PC (Steam), également disponible sur GOG, PS5 et Xbox Series

 

Author: Milambert

Bien qu’un doute subsiste sur l’accent à adopter lorsqu’on prononce son blaze, ses ascendances gauloises nous font pencher pour la rime avec le camembert. Né avec une console portable du petit artisan nippon entre les mains, Milambert brille toutefois par son éclectisme. Si son régime alimentaire se résume au gras et aux animaux morts, d’un point de vue vidéoludique il est l’antithèse du sectarisme incarnée. C’est bien simple, il touche à tout ce qui peut s’acheter sans se jouer. Il paraîtrait que c’est même encore plus savoureux si ça peut s’acheter sans se déballer. Derrière son calme et ses allures stoïques se cache un véritable speedrunner. Sa maîtrise des éléments du tableau périodique lui permet en effet de transformer les heures en minutes et les minutes en secondes. Ce talent secret le fait considérablement baisser les moyennes de « How Long to Beat » à lui seul. Ses ambitions alchimiques et sa quête de montagnes épargnées par les étés caniculaires ont fini par le faire s’exiler en Helvétie. Depuis, c’est avec le gruyère que rime Milambert.

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