Sorti en mars dernier en accès anticipé, le jeu des Français de Goblinz Studio a bénéficié en octobre d’une mise à jour substantielle. Nouveau boss, nouveaux pièges et nouvelle classe de monstres sont au programme. Retour sur ce jeu dur à définir, entre RPG-Stratégie et Roguelite de gestion de donjon, dont la sortie définitive sur PC est prévue pour 2021.
L’entreprise, c’est le vice
Depuis l’aube de l’histoire du jeu vidéo, certains concepts ont été usés jusqu’à la corde. Quel gamer n’a jamais entrepris une quête dans un donjon, incarnant un héros ou une équipe d’aventuriers, esquivant les pièges et brutalisant les monstres locaux, dans le but d’occire le boss et de s’emparer du trésor ? L’originalité de Legend of Keepers est d’inverser le postulat. Vous plaçant dans le rôle du directeur des ressources humaines du donjon. Le jeu commençant à la fin de votre entretien d’embauche. La cyclope secrétaire de direction vous annonçant que vous êtes engagé à l’essai pour une durée d’un an.
En tant que cadre, vous aurez la responsabilité du recrutement, de l’entraînement et du placement des monstres. Mais aussi de l’achat et de la réparation des pièges et de défendre le trésor en tant que boss final. Si l’idée n’est pas tout à fait neuve, explorée notamment dans Dungeon Keeper (Bullfrog Productions, 1997), Legend of Keepers parvient à être divertissant et original grâce à son gameplay addictif proche d’un Darkest Dungeon (Red Hook Studios, 2016), ses graphismes rétros et son côté roguelite, faisant la part belle à l’aléatoire.
Deux salles, deux ambiances
Le gameplay de Legend of Keepers se divise en deux phases. La phase « combat » commence avec l’arrivée des héros au donjon. Vous placerez donc des pièges et des monstres dans toutes les salles (toutes? non!). Après quoi, les affrontements s’enchaînent jusqu’à la mort du dernier aventurier, ou la vôtre. En cas d’échec, vous serez licencié sans autre forme de procès. En cas de victoire, vous gagnerez un monstre, un piège ou un artefact et, tel un actionnaire de multinationale, vous toucherez une prime en or, en sang et en larmes.
La phase de « calendrier » est, comme son nom l’indique, la nature étant bien faite, un emploi du temps où chaque ligne représente une semaine. Pendant lesquelles vous aurez le choix entre plusieurs activités. Du psychologue d’entreprise aux séminaires de motivation, en passant par des marchands peu scrupuleux, des dresseurs de monstres ou encore des pillages sanglants, vos choix déterminent l’avenir de l’entreprise, autant que les phases de combat. Vous pourrez, par exemple, négocier vos taxes avec les vampires du fisc. Dans ce qui ressemble fort à un hommage aux « Frères qui rapent tout » des Inconnus. Enfin, si vous choisissez la case « événement », une situation aléatoire se déclenche. Certaines ont des conséquences bénéfiques (une prime juteuse grâce aux initiatives discutables du cuisinier de la cantine). D’autres sont neutres (le choix de sacrifier ou non un employé pour augmenter votre puissance). Et enfin, certaines provoquent des répercussions négatives (la destruction d’un piège suite à une fausse manipulation, par exemple).
Mieux vaut être roi en enfer qu’esclave en enfer…
Vos subalternes sont divisés en cinq classes à choix. Dont deux de base (les démons et les squelettes) qui seront disponibles quel que soit le boss que vous incarnerez. Si vous choisissez l’esclavagiste (ah bon, il a pas de prénom ?), un centaure patibulaire, mais presque, expert de la gestion de monstres, vous aurez également accès à des créatures mythologiques comme des orcs et des gobelins, mais aussi des yétis et des harpies. L’enchanteresse, un amas de branches sèches spécialisée dans les sorts magiques, peut quant à elle employer des entités élémentaires et des monstres en lien avec la nature. Enfin, l’ingénieur, un être bipède et fringant qui excelle dans l’utilisation des pièges, peut utiliser des méchas.
Règlement d’entreprise
Chaque monstre, aventurier et même votre avatar, dispose de jauge de points de vie, de motivation et de résistances aux éléments. Ainsi que d’une ou plusieurs attaques et parfois d’un effet passif sur le combat. Les attaques sont localisées géographiquement. Chaque affrontement se déroulant en trois contre trois, les dégâts peuvent cibler l’avant, le milieu, l’arrière ou toute la zone. Ces-dites attaques sont liées à un ou plusieurs éléments (feu, glace, physique, nature et air). En fonction des résistances de la cible, l’attaque sera plus ou moins efficace.
Grèves, burnout et accidents de travail
Si, après des attaques ou des sorts spécifiques, la jauge de motivation d’un aventurier tombe à zéro, celui-ci prendra la fuite et sera hors de combat. Celle de vos employés baissera à chaque défaite personnelle. Elle se régénère lorsque vous les placez en garnison, pendant une attaque de donjon, laissant leurs collègues assurer l’intérim. Une fois la jauge vide, le monstre concerné se retrouvera en burnout, et donc indisponible pendant plusieurs semaines. À vous de choisir si vous voulez faire tourner votre effectif pour disposer d’une équipe motivée et dynamique, ou si vous préférez les exploiter sans vergogne. Quitte à devoir improviser en fonction de leur épuisement psychologique.
Merci patron !
J’apprécie qu’on prenne les concepts à contrepied, comme dans l’excellent film The house that Jack built de Lars Von Trier. Ou dans la non moins culte fiction de Rob Zombie The Devil’s Rejects, qui suit les pérégrinations d’une famille de tueurs psychopathes nécrophiles, poursuivis par des policiers, dont le zèle excessif et la brutalité sans limites brouillent nos repères moraux. Incarner un antagoniste n’est pas anodin. Du Joker à Dark Vador, ils nous renvoient dans notre inconscient (ou c’est le subconscient…? Bref), à nos contradictions, notre (in)compréhension du monde et la noirceur qui sommeille en chacun de nous.
Si on ajoute à ça une critique acerbe du capitalisme en général et de l’aliénation dans le monde du travail en particulier, des mécaniques bien huilées et une direction artistique soignée, le tout saupoudré d’humour noir (relativement) subtil, on obtient avec Legend of Keepers une perle du jeu indépendant. Seule petite ombre au tableau, le côté répétitif tant au niveau du gameplay que la musique. Même si cette dernière est plutôt de bonne facture.
Alors, jeune amateur de donjons, tu veux continuer de perdre tes parties avec une bande d’aventuriers incompétents? Ou tu veux commencer à gagner très vite du sang et des larmes en devenant le boss ? Moi j’crois qu’la question elle est vite répondue…
Même si on a pas pour habitude de tester (ou de recommander) les jeux avant leur sortie définitive, on se risque à une note de 8 bières des trolls sur 10.
Testé sur PC, disponible en early access sur Steam et prochainement sur Switch.